Si l'on souhaite travailler dans la "clarté des apprentissages",
c'est-à-dire que les enfants sachent toujours ce qu'on leur propose
de faire et pourquoi, la question se pose de savoir ce qu'on leur
dit de leurs différentes activités graphiques à l'école maternelle,
et donc ce qu'ils en comprennent. Dans les nouveaux Programmes,
on parle de l'exploration par les enfants, " des multiples possibilités
de l'activité graphique : le dessin, le graphisme, l'écriture.
" (p. 83). Or l'école est plus riche que ça, elle a un large répertoire
de ces activités. Nous proposons de les lister en les accompagnant
de définitions (ce ne sont que les nôtres !) qui nous permettront
de préciser de quoi on parle.
Exercices graphiques : entraînements de type grapho-moteur
préparant à l'acte calligraphique.
Calligraphie : art de tracer les lettres dans l'écriture.
On réservera ce mot à l'activité du cycle
2 qui consiste à écrire le mieux possible, une fois
qu'on sait écrire.
Graphisme : dessin ne comportant que des lignes. Quand
on fait faire du graphisme à des enfants, on attend d'eux qu'ils
essaient des tracés divers en contrôlant trajectoire, forme et
pression de la main. Cette activité a la plus souvent une fonction
de " décoration " ou de découverte. Ce graphisme est appelé "activités
graphiques " dans les Programmes 2008. Exemple : demander à des
enfants de moyenne section de joindre des points situés en haut
et en bas d'une feuille A4, celle-ci étant fixée dans le sens
de la hauteur, sur la table. On induit le tracé le lignes verticales
avec un geste descendant.
Dessin : activité symbolique qui consiste à représenter
la forme d'un objet ou d'une figure. Le dessin permet de " figurer
" (représenter). On remarquera que l'aspect " expression ", "
communication de sentiments ", " utilisation des couleurs " relève
plus de l'activité " peinture " dans le vocabulaire de l'école
maternelle.
Ecriture : représentation de la parole et de la pensée
par les signes graphiques conventionnels de la langue française.
" L'écriture est une activité graphique et linguistique dont les
deux composantes ne peuvent être dissociées " (Programmes 2007).
Dans les programmes 2008, "l'écriture cursive
est proposée à tous les enfants, en grande section,
dès qu'ils en sont capables". Et la compétence
attendue en fin de GS est l'écriture cursive de son prénom.
Encodage: terme utilisé dans PROG pour désigner
la capacité d'un enfant à tracer des lettres de
l'alphabet comme code avec des valeurs sonores.
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Dans un ordre chronologique, tout commence par le dessin.
Les bébés peuvent maintenir un feutre à la verticale et tracer
les fameuses cycloïdes qu'on trouve en section de petits. A partir
du moment où les enfants ont des adultes " mettant du sens " dans
un tracé, ils essaient de dessiner. C'est pourquoi le dessin occupe
une place si importante à l'école maternelle. C'est la première
manière, pour un jeune enfant, d'être reconnu comme capable de
créer quelque chose que les adultes re-connaissent. L'activité
de dessin suppose un tracé. Les premiers tracés figuratifs " reconnus
" par les adultes sont : un bonhomme, un soleil, une voiture,
une fleur… C'est en fin de petite section
et en moyenne section que les enfants font leurs premiers dessins
figuratifs. C'est pourquoi le premier " bonhomme " (même têtard)
doit être vécu comme un événement.
En même temps qu'ils dessinent et tracent librement, on
introduit du graphisme dès la petite section.
On leur donne à tracer des ronds (tourner autour d'une
gommette, encercler des éléments), des lignes (rejoindre
des points, éviter des obstacles dessinés sur une
feuille), etc. On peut leur dire que "ça leur sert
à apprendre à dessiner encore mieux".
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C'est en moyenne section que l'on trouve
du dessin figuratif sur toutes les feuilles. Le travail consiste
à enrichir ces dessins. Encore faut-il entraîner
les enfants au dessin. Ils adorent ça, parce qu'ils comprennent
qu'ils maîtrisent une faculté propres aux adultes (voir les résultats
de l'enquête p. 36 de "temps
et temporalité"), mais aussi parce que c'est
bon pour eux sur le plan cognitif: le réel peut être symbolisé
comme on veut, quand on veut, et les autres peuvent reconnaître
le quelque chose qu'ils ont voulu représenter. Il n'y a donc aucun
danger à leur faire des commandes de dessins de maisons, d'arbres,
d'oiseau, de train, de voiture ou de camion.On peut même
faire des concours de dessin (où tout le monde réussit,
bien entendu), soit en dessinant tous un xxx, soit en dessinant
"ce qu'on sait le mieux dessiner".
Et les dessins libres restent des indices précieux pour
le maître qui peut y voir les degrés de maîtrsise
du geste et de représentation de chaque enfant. Or on ne
peut commencer à demander à un enfant d'essayer
d'écrire son prénom en cursive que lorsqu'on sait
qu'il peut le faire sur le plan grapho-moteur. Deux modalités
d'évaluation possible: il peut faire un tracé contrôlé
par copie d'un dessin, ou bien on trouve, dans ses dessins libres,
des tracés fins, contrôlés et montrant des
figures qui seront utiles dans le tracé des lettres en
cursive.
En voici deux exemples en moyenne section:
Kévin n'est pas encore prêt pour écrire.
Aissa peut commencer sans problème.
La question se complique quand on sait que l'écriture
de la langue (par exemple celle du prénom) suppose le tracé
de lettres, c'est-à-dire de signes dont l'enfant de maternelle
doit découvrir la valeur sonore. Lorsqu'un enfant ne fait
que mimer un tracé, il n'écrit pas son prénom.
Et il ne faut pas le lui faire croire. Pas plus que lorsqu'il
trace des formes, grâce à sa mémoire visuelle,
et dont il se trouve qu'elles ressemblent à des lettres.
Voici l'exemple de Noam, 3ans et 4 mois à qui on demande
d'écrire son prénom:
Noam - ze sais pas!
l'adulte - mais tu peux essayer quand même, je suis sûre
que tu sais un peu
Noam - non! non! non! ze sais pas ze te dis!
l'adulte - bon, moi je sais que tu peux l'écrire
Noam - bon, ze faire autre soze, ze vais faire N, O, A, M
et il trace
Il montre et dit ainsi que bien que ne sachant pas écrire
(utiliser un savoir métalinguistique pour écrire
comme les grands), il connaît par coeur le tracé
de son prénom, et même le nom de chacun de ses éléments.
Noam est dans une parfaite clarté d'apprentissage puisqu'il
sait qu'il n'est que partiellement compétent pour réaliser
l'activité.
Il faut donc éviter de demander de la copie de mots à
des enfants qui n'ont pas découvert la valeur sonore des
lettres. Ce serait une "fausse" activité d'écriture.
En revanche, on attire sans cesse leur attention sur cette valeur
phonique des lettres et des assemblages de lettres. Et on les
met en situation de pouvoir "encoder' dans le courant
de la moyenne section.
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En grande section, on peut enrichir et
complexifier l'activité de dessin et le croisement
du dessin et de la première écriture va donner
lieu aux exercices graphiques.
L'enrichissement du dessin passe par du dessin à consigne
et avec des outils différents (notamment pinceaux fins
et peinture semi-liquide, à l'horizontale sur les tables).
On peut, par exemple leur demander du dessin d'observation: un
objet est sur la table et ils doivent le dessiner. On verra ensuite
si on retrouve l'objet en regardant le dessin. On peut également
faire des recherches sur des manières différentes
de représenter tel objet. Les albums sont une mine inexploitée.
C'est dommage car toutes les illustrations représentant
un oiseau, mises côte à côte, sont autant de
sources d'étonnement.
Le dessin libre reste une pratique régulière et
il devient alors un moment où l'enfant s'applique dans
la réalisation d'un véritable projet, parce qu'il
peut le distinguer du dessin à consigne.
Précisons que toutes ces activités se font au feutre
fin (ou au crayon de couleur à condition qu'il soit gras
et taillé) et sur une table. Pas au gros feutre et pas
sur une feuille verticale avec de la peinture en pâte. Quand
on dessine, on s'applique.
En faisant de temps en temps une commande précise aux enfants,
on peut savoir s'ils sont prêts à l'apprentissage
du "graphisme pour l'écriture". On peut leur
dire par exemple:
"je vais vous demander aujourd'hui de faire un dessin
au crayon de papier, avec 5 choses que je dois voir sur la feuille:
une fleur qui a des pétales, un nuage, un soleil, une abeille
qui s'approche de la fleur, et une petite fille qui arrose la
fleur. On ne copie pas sur le copain parce que c'est pour moi,
pour mon travail, j'ai besoin de savoir exactement comment vous
dessinez quand vous vous appliquer. Alors aujourd'hui c'est X,
Y, Z qui le font, ils vont choisir un endroit tranquille dans
la classe et ils peuvent mettre tout le temps qu'ils veulent.
Après tout le monde le fera."
Ces dessins renseignent sur les capacités de l'enfant à
tracer les différents segments qui sont nécessaires
à l'écriture cursive. Par exemple, si la petite
fille a des cheveux bouclés, on sait que l'enfant est capable
de tracer des boucles.

Rappelons les formes de base de l'écriture cursive:
1 |
montée incurvée de gauche vers
droite |
par exemple, dans les lettres
u, l, b, h, f |
2 |
courbe de droite vers gauche |
par ex, dans les lettres o,
a, g, e, l, k |
3 |
descente tout droit |
par ex, dans les lettres g,
f, d, t |
4 |
courbe de gauche vers droite |
dans la lettre v |
5 |
pont |
dans les lettres m et
n |
6 |
boucle montante de droite vers gauche |
dans les lettres l,
b, h, k, f |
7 |
boucle descendante de droite vers gauche |
dans la lettres g |
8 |
boucle descendante de gauche vers droite |
dans la lettre f |
A partir du moment où l'on annonce à un enfant
qu'il va pouvoir apprendre à écrire son prénom,
il lui faut une séance individuelle où l'on décompose
le tracé de cet écrit devant lui: en grand, sur
une feuille, on parle simultanément des lettres qu'on trace
et des gestes que l'on fait, en changeant de couleur chaque fois
qu'on lève le crayon:

On peut aussi entraîner les enfants à tracer une
seule partie de leur prénom en ayant soin de le leur expliquer
et en leur montrant le découpage qu'on a opéré.
On peut leur donner à repasser des prénoms écrits
au feutre et glissés dans une pochette transparente car
ils peuvent ainsi effacer et recommencer. On peut leur donner
des modèles à repasser à la peinture au pinceau
fin: c'est excellent car ils doivent s'empêcher d'appuyer
sur l'outil ; ils apprennent alors très vite. Les pistes
graphiques libres sont aussi de bons entraînements. L'essentiel
est que chaque enfant puisse s'entrainer chaque jour. La question
de la dextérité est une question de répétition
du geste. Un exercice hebdomadaire ne suffit pas.
La première écriture est celle du prénom.
Elle demande de très longs entraînements, jusqu'à
ce que tous les tracés soient "canoniques" (boucles
et ronds notamment). Les enfants peuvent ensuite passer à
l'écriture de leur nom de famille. Les plus avancés
iront jusqu'à l'écriture de la date.
En grande section, cet entraînement se poursuit parallèlement
aux situations où le maître décompose un mot
en syllabes lorsqu'il écrit devant l'enfant ou lorsqu'il
lui demande de "lire". Il est alors essentiel de rappeler
en même temps le nom des lettres, leur forme et "le
bruit qu'elles font".
Un coin spécifique écriture doit être installé
tôt dans l'année.
Attention
de ne pas induire de confusion dans la tête des enfants!
Ce sont les plus fragiles qui seront perdus quand on leur dira
de "décorer" des lettres, de "s'amuser"
à "dessiner" des lettres, de faire des tampons
de lettres, etc... Tout ça est à banir. Les lettres
se tracent. Les dessins se dessinent. Et plus on attire l'attention
sur les caractéristiques visuelles des lettres et de l'écrit
("c'est joli", on peut mettre les lettres dans tous
les sens, faire des compositions avec...), plus on éloigne
les enfants de la grande découverte qu'ils doivent faire:
la valeur sonore du langage écrit.
Voici deux enfants qui ont "écrit" leur prénom:
on voit comment Sarah a segmenté les lettres, alors que
Marina a mimé le tracé de son prénom, qu'elle
connaît par coeur . La première écrit, la
seconde dessine. On peut aussi avoir recours à une question,
après ce genre d'activité: "est-ce que tu
crois qu'il y a des lettres dans ton prénom?".
Les enfants qui ont réellement écrit répondent
pratiquement toujours "oui", ou même "ben
oui!", comme une évidence.

En conclusion, les relations entre ces différentes activités
sont à peu près de cet ordre, étant entendu
qu'il ne s'agit pas de pré-requis, étape par étape.
