1°) Les (beaux!!) Programmes 2002
Le Programme 2002 de maternelle posait deux objectifs relatifs
à cette question :
- la " prise de conscience des réalités sonores
de la langue " ---> " Le système d'écriture
alphabétique se fonde essentiellement sur la relation entre
unités distinctives du langage oral (phonèmes) et
unités graphiques (graphèmes). L'une des difficultés
de l'apprentissage de la lecture réside dans le fait que
les constituants phonétiques du langage sont difficilement
perceptibles pour le jeune enfant
Il convient donc de lui
permettre d'entendre autrement les paroles qu'il écoute
ou qu'il prononce
"
- la découverte du fonctionnement du code écrit
---> " Les activités graphiques d'écriture,
dans la mesure où elles individualisent des lettres, fournissent
un matériel important pour la construction du principe
alphabétique
C'est dans les activités d'écriture,
non de lecture, que les enfants parviennent à vraiment
" voir " les lettres qui distinguent les mots entre
eux. "
Le Programme 2002 du cycle 2 disait : " Pour identifier
des mots, l'apprenti lecteur doit avoir compris le principe qui
gouverne le codage de la langue écrite en français
: les lettres ou groupes de lettres (graphèmes) représentent
le plus souvent des unités distinctives de la langue orale
(phonèmes) assemblées en syllabes. L'enfant construit
progressivement ce savoir dès l'école maternelle
mais n'a pas encore compris la complexité de ce principe
à l'entrée de l'école élémentaire.
Il importe donc que l'enseignant évalue ses élèves
dans ce domaine avant même de commencer l'enseignement de
la lecture. On peut, par exemple, poser un " problème
" d'écriture (si l'on souhaite écrire tel mot,
comment fait-on ?) en complexifiant progressivement la tâche
et en observant la manière dont travaillent les élèves
: capacité ou non d'entendre les éléments
phonologiques qui constituent le mot, capacité de proposer
un signe graphique pour une unité phonologique, connaissance
du nom des lettres et de leur(s) valeur(s)
"
Bien sûr, tout ça, reste vrai.
Ainsi, lors qu'on parle du principe alphabétique (P.A.),
il s'agit de relations entre des unités abstraites que
les linguistes appellent phonèmes et leurs substituts écrits
que sont les lettres ou groupes de lettres.
2°) Apprentissage du P.A. et enseignement : comment faire
?
On sait qu'on ne parle jamais aux enfants de phonèmes
alors qu'on leur parle de sons. Ce n'est pas seulement parce qu'on
veut employer un vocabulaire simple avec eux. C'est peut-être
aussi parce que, dans l'oral, nous " n'entendons " pas
de phonèmes isolés : nous entendons du discours
sous forme sonore comme un tout que nous comprenons, grâce
à la totalité de la situation c'est-à-dire
dans ce que les linguistes nomment situation d'énonciation.
Ce tout, sonore, se compose en fait de phonèmes, eux-mêmes
assemblés en syllabes, elles-mêmes intégrées
dans des contours mélodiques. Mais nous ne sommes pas du
tout conscients de l'existence de ces unités et de ces
structures (activité métalinguistique). Or pour
apprendre à décoder l'écrit il faut avoir
cette conscience. Plusieurs procédés sont possibles
pour aider les enfants sur cette voie :
- on peut commencer par provoquer cette conscience d'unités
et de structures dans l'oral (jeux de sonorité, rimes,
discriminations, manipulations sur les syllabes
) puis montrer
les liens avec l'écrit (assemblage) ;
- on peut " monter " les correspondances phonèmes
- graphèmes simultanément sur des tout petits morceaux
artificiels de langue, par exemple des syllabes (commet fonctionne
l'écriture de " ba ", " bo "
puis de " pa ", " po "
en faisant des
permutations sur l'élément vocalique puis sur l'élément
consonnantique) ;
- on peut laisser aux enfants le temps de comprendre le principe
même de l'écrit en écrivant systématiquement
devant eux et en rendant patentes les relations oral / écrit
(par des relectures différentes en même temps qu'on
écrit, par du décodage ostensible, par de l'encodage
ostensible). Les enfants montrent qu'ils ont compris la nature
de ces liens (sonores - graphiques) lorsqu'ils essaient d'encoder,
avec leurs moyens à eux, mais en pouvant, a minima, se
relire en suivant du doigt. C'est ce qui est conseillé
par les Programmes et c'est ce que nous faisons dans la démarche
PROG dès la maternelle.
3°) Apprentissages progressifs du P.A. : nos constats
On a déjà beaucoup de littérature sur des
étapes empruntées par les enfants pour comprendre
- utiliser le P.A. (Ferreiro, Besse, Chauveau). Nous présentons
ici ce que nous constatons dans nos écoles, et qui constituent
des repères pour les enseignants. Rappelons la consigne
d'encodage :
" aujourd'hui je vais vous demander de faire un travail pour
m'aider. Je vais vous demander d'écrire quelque chose et
je sais bien que vous ne savez pas encore écrire mais je
pense que tout le monde va essayer de se débrouiller pour
faire quelque chose. Et comme ça, je saurai où vous
en êtes et comment je peux continuer à faire mon
travail de maîtresse. Alors bien sûr, il est hors
de question de regarder comment fait le voisin, sinon ça
me sert à rien. Chacun fait comme il peut, tranquillement
et après, on mettra tout au tableau pour savoir comment
vous avez fait ".
Dans les écoles où le langage est le domaine prioritaire
d'enseignement, où l'écrit est travaillé
dès la petite section, où les apprentissages sont
construits progressivement, nous avons les résultats suivants
à deux étapes d'évaluation systématique.
5 types de performances apparaissent, que nous appelons A, B,
C, D, E.
En fin de moyenne section
- quel que soit le milieu socio-culturel de l'école, environ
moitié des enfants ont, selon la formule de Jacques Fijalkow,
" passé le mur du son ". Cela veut dire qu'ils
manifestent, dans leurs essais d'encodage, la volonté d'utiliser
un code, quel qu'il soit : un phonogramme (" j'ai dessiné
une dent pour faire le son [â] ", un chiffre (2 pour
écrire " de "), une lettre (O pour écrire
" mo ") qui a valeur symbolique d'unité entendue
dans la prononciation du mot. Ce groupe d'enfants sera le groupe
C ;
- l'autre moitié des enfants montrent qu'ils n'ont pas
fait cette découverte. Leurs tracés sont divers
: ils reproduisent l'allure de l'écriture manuscrite ("
vagues " ou dents de scie), ils dessinent l'objet (représentation
analogique), ils tracent des signes dont ils pensent que c'est
l'écrit des adultes (pseudo-lettres), ils tracent des lettres
pour la même raison c'est-à-dire sans avoir percé
leur mystère (par exemple en reproduisant celles de leur
prénom ou celles de l'alphabet dans l'ordre). Ces enfants
du groupe B sont vraiment sur la bonne voie ! Attention, ils ne
sont pas du tout en échec : ils sont en train d'apprendre,
et ils ont encore beaucoup de temps ;
- quelques enfants constituent le groupe A des enfants prioritaires.
Soit ils refusent systématiquement, soit ils tracent des
cycloïdes, et montrent ainsi qu'ils sont très loin
de pouvoir se représenter seulement la consigne. Il faut
travailler très régulièrement avec eux, d'abord
en dictée à l'adulte avec des messages et en jeux-problèmes
avec les prénoms.
En fin de grande section
- environ la moitié des enfants utilisent de " bons
" graphèmes pour encoder les " bons " phonèmes.
On peut tout lire, l'écriture est grapho-phonétique.
Ce qui ne veut pas dire que l'orthographe canonique soit forcément
respectée, on n'en est pas là. Par exemple, FOTO
pour écrire " photo ". Ces enfants constituent
le groupe D. Ils utilisent le principe alphabétique ;
- quelques enfants font plus lorsque la commande d'écriture
est un énoncé, c'est-à-dire plus qu'un mot.
Ils utilisent le P.A. et ils segmentent en mots. Nous parlons
de groupe E.
- les autres enfants se répartissent en performances de
types C, B, et A.
A ce niveau de la scolarité, les enfants des groupes A
et B sont prioritaires.
Récapitulons :
A enfants prioritaires : pas de trace de la valeur langagière
de l'écrit
B utilisation de signes sociaux pour encoder mais sans valeur
sonore
C utilisation de la valeur sonore de signes pour encoder
D utilisation du principe alphabétique
E utilisation du principe alphabétique + blancs de séparation
de mots
Nous considérons que l'objectif de fin de grande section
est d'atteindre la performance de type C : l'encodage du sonore.
Nous sommes alors en harmonie avec les Programmes qui évoquent
la découverte du principe alphabétique. Tout est
prêt pour faire un CP
qui se passe bien. S'ils font plus en fin de maternelle (performances
de type D ou E), tant mieux.
En fin de compte, ce qui nous intéresse pour travailler
en classe se résume à trois grandes étapes
de représentations des enfants :
ils comprennent que l'écrit code socialement du langage
ils comprennent que ce code touche la face sonore du langage
ils comprennent que cette face sonore touche de toutes petites
unités
Voici les résultats dans une grande section en Mai.

Groupe A : aucun enfant
Groupe B : Sylvain
Groupe C : Caroline L, Solène, Benjamin, Hakim, Côme
S, Gil, Côme D, Sarah, Maxime, Laurice, Etienne, Léopold
Groupe D : Chloé, Camille, Thomas, Marius,
Groupe E : Hannah, Anna, Sam, Victoria, Caroline, Arthur, Paul,
Laure, Alexandre, Alice, Solveig
Et il ne faut pas oublier que les progrès des enfants
de grande section aux mois de mai et juin sont souvent spectaculaires.
4°) Les Programmes 2008
Des points de désaccord profond.
- La "fréquentation" d'images, d'abécédaires,
selon notre expérience, ne permet pas la découverte
du principe alphabétqiue. Tout simplement parce que l'unité
"mot" apparait facilement aux enfants, étant
découpée, seule, sur le papier. On lit "poupée"
et les enfants voient une poupée. C'est un objet du monde
connu et on dit son nom. Tout autre chose est l'unité graphème-valeur
phonétique qui est à découvrir dans le principe
alphabétique. On est alors dans du sonore qui, prononcé
à l'unité, ne veut rien dire [p], [u], [p], [e].
Or c'est ça qui est codé dans le mot "poupée"
et que les enfants ont à découvrir.
- Nous maintenons que la connaissance des lettres (activité
consistant à reconnaitre une lettre et à dire son
nom) n'est pas du tout une aide. Seules 5 lettres (a, e, i, o,
u) ont des noms correspondent à des phonèmes. Il
reste 31 phonèmes codés par autre chose qu'une seule
lettre faisant le même bruit que son nom (dont 11 voyelles!).
Arrêtons ces pratiques d'entraînement à réciter
des noms d'objets qui sont, non pas des objets du monde, mais
des symboles hautement abstraits. La seule aide véritable
qu'on puisse apporter aux enfants est de "bruiter" ces
signes-lettres dans des mots pour leur montrer comment ça
marche.